L'ENFANT POSSIBLE
« La question de l’adresse est centrale dans mon travail. Je peux presque tout ramener à elle. J’écris le théâtre parce que j’aime m’adresser à un public autant qu’à un lecteur. Si la notion de « double adresse » s’applique à la parole théâtrale, elle se transpose aussi au geste même de l’écriture dramatique qui implique d’écrire à la fois pour le lecteur et le spectateur. Et si je fais le choix d’écrire « pour l’enfance et la jeunesse », je fais surtout le choix d’une écriture théâtrale accessible à chacune, à chacun. Je me crée un destinataire absolument polymorphe, qui inclut l’enfant mais ne se réduit pas à lui. Et ne cherche pas dans l’univers de l’enfant un sujet qui lui appartiendrait, - gageant que partageant un même monde, on peut bien partager un même théâtre.
Je porte en revanche toute mon attention sur la manière de m’adresser à lui. Et voilà qui tombe bien car ce « comment dire » auquel je travaille pour arriver jusqu’à lui, ce destinataire inconnu possiblement enfant, c’est aussi, finalement, ce que j’explore de manière transversale dans chacun de mes textes. La parole, selon la manière dont on s’en empare, a tous les pouvoirs, celui de diriger, éveiller, tromper, faire rêver ou pleurer, consoler, enchanter, faire rire... C’est un incroyable ressort théâtral, un ressort infatigable tout simplement parce qu’il traduit notre relation à l’autre, qui, elle, n’est jamais simple... J’ai même l’intime conviction que notre manière d’être à l’autre et de s’adresser à lui fonde la (dé)marche du monde.
La parole est pour moi le lieu d’une exploration sans fin, ce qui se dit entre nous, comment cela se dit, tout droit et de travers, avec et sans image, ce qui voudrait se dire, ce qui ne se dit pas, ou peu ou presque peu... »
Sarah Carré