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MARCELLE LUMANITÉ

2025
Théâtre / Jeunesse / En création

 

Quand on regarde une vieille, on a l’impression qu’elle a toujours été vieille. 
Pas vrai ?
Un vie de vieille…

 

En juin 2024 je reçois du théâtre du Grand Bleu (59) (auquel je suis associée) la proposition d’écrire un texte pour une forme « tout terrain » et je m’en réjouis. En cohérence avec l’événement Lille 3000, « Fiesta », le thème de la fête s’impose. Alors c’est parti, je me mets au travail ! Pourtant le goût n’y est pas ! Difficile pour moi de penser la fête vu le contexte, l’époque, le bruit du monde… Jusqu’à ce que je décide de m’emparer de ma propre ambivalence. Ainsi naît Marcelle Lumanité.

 Le texte est mis en production par le théâtre lui-même. La mise en scène en est confiée à Théo Borne (Cie L'Impatiente)
Le texte sera créé avec Marie-Pierre Feringue et Siméon Ferlin au Grand Bleu en septembre 2025

 

Synopsis

Marcelle, une femme vieille comme le monde est là. Elle nettoie, range, tout la dérange, même nous, surtout nous ! Pourtant aujourd’hui c’est son anniversaire, elle devrait être à la fête. Raté ! Elle se sent plus seule que jamais alors elle se prend à rêver : et si pour l’occasion lui arrivait un invité surprise ?

Avec le vœu qui s’exauce c’est la vie qui s’emballe et l’anniversaire qui se pimente. En bonne compagnie, Marcelle se met à tourner dans une robe qui vole et virevolte, à regarder les étoiles, un paysage enneigé, une biche qui passe au loin, une montgolfière, à jouer comme si on avait… quel âge on a déjà ? Avec le petit bout d’humanité qui est là, à côté de soi et face à soi, c’est un retour à la vie !

Marcelle Lumanité est une réjouissance, une ode à la joie d’être ensemble, un spectacle facétieux pour chasser les idées noires.

Note d'intention

La fête, c'est les autres! 

La bonne compagnie

Quand je pense « fête » je pense avant tout à la rencontre. Se retrouver, se découvrir, se relier aux autres m’apparaît toujours comme une clé pour dépasser une météo générale maussade : c’est toujours pour moi une manière de me réconcilier avec un petit bout d’humanité et ça, c’est porteur !

Comme je m’adresse en priorité aux enfants je choisis la fête qui leur parle le mieux, celle de l’anniversaire. Mais je décide assez vite que ce sera l’anniversaire d’une vieille femme, seule, acariâtre et drôlement antipathique : Marcelle. Je m’amuse d’emblée d’un personnage qui bouscule le public, d’une fête qui s’annonce complètement ratée ! Sauf à dépasser sa misanthropie, Marcelle - qui ne dispose d’abord que d’un pauvre kit pour anniversaire solitaire – s’apprête à passer cette journée bien tristement.

Mais Marcelle sait bien, au fond d’elle – elle ne s’appelle pas Lumanité sans raison -  qu’il n’y aura pas de fête possible dans la solitude. Je ne sais plus combien j’ai de bougies mais je ne veux pas finir toute rabougrie.

Alors, de son imaginaire elle fait surgir le compagnon de fête idéal, capable de réveiller par sa jeunesse et sa fantaisie tous ses désirs enfouis. L’imaginaire prend ses aises, le garçon de ses rêves prend du pouvoir et voilà notre Marcelle débordée par la vie. En compagnie de celui-ci, ce sont des robes qui virevoltent, des bulles qui s’envolent, des flocons de neige qui fredonnent. "Si c’est pas de la chance, ça, un anniversaire sous la neige !"

Avec lui, Marcelle se fâche, s’amuse, se réconcilie, s’attendrit… Reste ensuite à parcourir ce chemin, depuis l’ami imaginaire jusqu’aux autres individus, bien réels qui sont face à elle… La fête ne peut être pleine et entière qu’en bonne compagnie. La fête c’est les autres !

Marcelle Lumanité : un personnage allégorique ?

-Je reconnais Vénus.
-On est sur la bonne voie lactée, Lumanité.
-Elle brille si fort… Ce serait pas la mort des idées noires, ça ?
-Oh si. Et maintenant, on va se relever Lumanité. Repartir du bon pied. 

L’envie de nous parler de nous, d’esquisser un portrait de notre humanité à l’instant T, m’amène à faire du personnage de la vieille femme un personnage allégorique. Marcelle Lumanité est en effet un personnage de femme complètement ordinaire, elle peut-être la grand-mère, la voisine, la gardienne, la vieille aux chats… Pourtant, elle est aussi la représentante d’un petit bout de chacun de nous, avec nos forces et nos faiblesses. Comme l’humanité, elle est pleine de paradoxes. Elle est en effet poursuivie par des idées noires, que le garçon imaginaire se fait un malin plaisir de pourchasser. Mais elle est mue aussi par un féroce appétit de vivre. Elle n’est pas partageuse, surtout quand il s’agit de ses biscuits, mais plus sensible qu’il n’y paraît. Elle est d’une rigidité sans pareille et pourtant fait preuve d’une imagination exubérante. A la fois insupportable et facétieuse elle est ce personnage touchant qui, accompagnée de son drôle de double inversé, s’attache à nous autant que nous nous attachons à elle.

Rêver ici et maintenant

Marcelle Lumanité est une pièce qui met en jeu la place et le pouvoir de l’imaginaire, celui-là même qui permet de mieux vivre et de faire face au réel. Par la force de son imagination en effet, qui, tout autant que le rire, est le propre de l’homme, Marcelle fait surgir un personnage qui lui permet de se réconcilier avec les autres. Cet invité-surprise, par sa jeunesse, son énergie, sa fantaisie, vient la bousculer, la faire revivre et lui permet de reconstruire sa relation aux autres.   

A l’heure où je m’interroge sur la solitude de tant de gens, sur les fractures entre les groupes humains, les positions de replis et de conservatisme, j’aime que le théâtre par un jeu de mise en abyme – puisqu’il est lui-même un lieu de rassemblement autour de l’imaginaire - raconte de manière démultipliée la nécessité de rêver ensemble.

Sarah Carré, le 4 avril 2025